Victor Prophane, ancien député de Petite-Rivière de l’Artibonite (2016-2020) et ex-président du parti Bouclier, est aujourd’hui l’une des figures les plus controversées de la scène politique haïtienne. Son parcours, marqué par un glissement de la représentation parlementaire à la collusion présumée avec des groupes armés, est devenu emblématique des dérives sécuritaires et institutionnelles qui minent le pays.
Dès son élection en 2016, selon un rapport du Conseil de sécurité des Nations Unies, Prophane aurait commencé à armer de jeunes hommes dans sa circonscription pour assoir son influence politique locale. Ces milices en germe allaient former le noyau dur du gang Gran Grif, aujourd’hui considéré comme l’un des plus violents en Haïti, notamment dans l’Artibonite. Ce groupe est accusé de meurtres, de tortures, de viols collectifs et d’enlèvements, des atrocités qui ont suscité une inquiétude croissante au sein de la communauté internationale. Après une rupture stratégique avec le gang Gran Grif en 2020, Prophane aurait apporté son soutien à des groupes rivaux, exacerbant ainsi la spirale de violence dans la région.
Le Canada a été le premier à réagir, imposant en juin 2023 des sanctions à Prophane pour corruption et soutien au financement d’organisations criminelles armées. En septembre 2024, les États-Unis ont suivi via l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), l’accusant explicitement de trafic d’armes et de soutien logistique et financier à des gangs haïtiens. Les Nations Unies ont à leur tour inscrit Prophane sur leur liste de sanctions pour « activités menaçant la paix, la sécurité et la stabilité d’Haïti ». Ces mesures incluent un gel des avoirs, une interdiction de voyager et un embargo sur les armes.
Le 12 janvier 2025, après des mois d’enquête de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), Victor Prophane a été arrêté à Pétion-Ville. Il est désormais poursuivi pour collusion avec des groupes armés, trafic illicite et participation présumée à des réseaux criminels organisés. Cette arrestation a été saluée comme un signal fort dans la lutte contre l’impunité, bien que certains observateurs restent sceptiques quant aux suites judiciaires, dans un pays où les élites politiques échappent trop souvent à la justice.
Le nom de Victor Prophane est également associé à l’un des épisodes les plus sanglants de 2024. Le 3 octobre, le gang Gran Grif, qu’il aurait contribué à fonder, est accusé d’avoir massacré plus de 115 personnes à Pont-Sondé, dans ce qui est considéré comme l’une des pires exactions perpétrées par un groupe armé au cours de cette décennie. Ce massacre a marqué un tournant dans la perception publique du rôle des gangs et de leur soutien politique.
Le parcours de Victor Prophane met en lumière les liens étroits entre la classe politique haïtienne et les réseaux criminels, où des alliances opportunistes deviennent un mode de gouvernance. Son cas illustre comment le pouvoir est parfois conservé, voire conquis, par la terreur, l’armement et le contrôle de territoires entiers.
Le cas Victor Prophane dépasse la seule responsabilité individuelle. Il révèle les failles profondes d’un système où l’impunité, la criminalité et la politique s’entremêlent, dans un contexte de violence généralisée et de crise institutionnelle persistante. Ce dossier pose plus que jamais la question : qui gouverne réellement Haïti ?
Rédaction Kominotek NEWS